Vue aérienne de la Cité médiévale de Carcassonne | Adobe Stock Luliia Sokolovska
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Dossier historique et archéologique

Carcassonne

Fruit d'une occupation humaine ininterrompue depuis près de 2500 ans, sans cesse reconstruite, rêvée, réinventée, la Cité de Carcassonne appartient désormais au Patrimoine mondial de l'Humanité. Le 6 décembre 1997, l'Unesco inscrivait dans ses tablettes cette vieille dame d'une qualité de vie exceptionnelle et ses quarante-cinq tours qui jalonnent ses 1272 mètres d'enceinte intérieure et ses 1672 d'enceinte extérieure. La liste des sites les plus remarquables de notre planète s'enrichissait d'un joyau « médiéval » de plus.

« Histoire de l'Antiquité à nos jours », hors série n° 56 : Carcassonne - Juillet 2019


En apparence le site et lhistoire de Carcassonne semblent bien connus. Pourtant bien des monuments restent ignorés du public : la domus gallo-romaine du Château comtal, la Ville basse, bastide médiévale avec ses églises gothiques et ses riches hôtels particuliers... Et lhistoire de la ville se limite pour beaucoup à quelques événements... La Cité sert de décor à de nombreux films, à des bandes dessinées se passant à des époques diverses mais où elle apparaît toujours dans laspect que lui ont donné les restaurations de Viollet-le-Duc. Comme si la ville navait pas évolué entre lAntiquité tardive et nos jours. Or loin dêtre un décor figé Carcassonne possède une riche histoire que des fouilles et études historiques mettent en lumière depuis une quarantaine dannée. Et la ville ne se limite pas à la Cité. Malheureusement le résultat de ces recherches est resté plutôt confidentiel. Ce dossier présente donc une synthèse des acquis de la recherche par des spécialistes qui lont menée.

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Remerciements

Centre d'Etudes Cathares
Charles Peytavie
Office de Tourisme de Carcassonne (photographies du début du XXᵉ siècle)
Tour à tour oppidum celtique, ville romaine, cité médiévale, lieu de pouvoir, forteresse oubliée, carrière de pierre, ruine romantique, Monument Historique, « grand bazar médiévalisant », vitrine touristique et économique, décor de théâtre et de cinéma, la Cité de Carcassonne fascine, attire et répulse, c'est selon. Elle ne laisse en tout cas personne indifférent. Trois millions de visiteurs, avides de dépaysement historique, arpentent ses rues chaque année, espérant y faire l'expérience l'espace d'un cours séjour, d'une sorte de communion avec le Moyen Age, la période "cathare" ou les chevaliers de la Croisade Albigeoise.

« Voir Carcassonne et mourir », dit l'adage populaire. Peut-être. Aller un jour à Carcassonne, c'est en tout cas risquer que derrière ces murs près de vingt cinq siècles vous contemplent et vous invitent à un bien beau voyage à travers le temps.

La Cité de Carcassonne est un ensemble architectural unique : munie au cours des siècles d'un système de défense incomparable (deux enceintes, un château), elle se pare également d'une ancienne cathédrale, chef d'œuvre de l'art gothique méridional. L'ensemble de ce patrimoine est l'expression du rôle majeur joué par la Cité au cours de l'histoire du Midi de la France.

Les origines : les agglomérations préhistorique et protohistorique d'Auriac et de Carsac


En dehors de quelques outils appartenant probablement aux chasseurs nomades du paléolithique ou du mésolithique, les plus anciens signes d'occupation humaine retrouvés sur le territoire de Carcassonne appartiennent au néolithique moyen, c'est-à-dire à la période dite chasséenne (autour de 4600 et 3400 avant notre ère).

À cette époque, plusieurs communautés de la zone méridionale de l'Europe s'installent dans de vastes habitats de plein air, tous établis sur des éperons proches de zones alluviales propices à l'élevage et l'agriculture. Le territoire de Carcassonne, au confluent de l'Aude et de plusieurs de ses affluents leur offre toutes les conditions nécessaires à une implantation durable.

Jusqu'au VIᵉ siècle av. J.-C., plusieurs agglomérations, à la durée de vie plus ou moins longue, vont se succéder tout autour de l'actuel promontoire de la Cité (Bériac, Cavanac, Auriac). Témoins des premières tentatives de sédentarisation et de concentration des populations préhistoriques, chacun de ces habitats constituait d'importants chefs-lieux dont la permanence sur le sol carcassonnais allait s'avérer déterminante pour l'essor de ce territoire.

Au sud de la Cité, à l'emplacement actuel du golf d'Auriac, les archéologues audois ont ainsi retrouvé les traces d'un vaste éperon fortifié de trente hectares, barré par un fossé de 100 mètres de long sur quatre de large et deux de profondeur.

Environ 20 000 objets y ont été mis à jour. Ils témoignent des goûts et des pratiques quotidiennes de ces habitants, paysans et éleveurs en relation directe avec le littoral, les Alpes ou la Montagne Noire. On les découvre aussi artisans, produisant leur propre céramique et leurs propres outils, mais également pêcheurs et amateurs de coquillages marins, en particulier de moules. Ils avaient également coutume d'enterrer leurs morts. Les corps de plusieurs hommes, femmes et enfants appartenant à cette communauté ont été découverts, inhumés en position repliée, à même le fonds des silos, parfois à l'intérieur de leurs propres maisons.

A la fin de l'Age du bronze, vers le VIIIᵉ siècle avant J.-C., une nouvelle agglomération s'établit à deux kilomètres au sud-ouest de la Cité actuelle, sur la partie occidentale du plateau de Carsac qui domine la plaine riveraine de l'Aude. Cet oppidum très étendu (près de 20 hectares) a connu deux occupations successives. Une première communauté s'était protégée derrière un large fossé et un dispositif d'entrée en chicanes qui l'isolait du reste du relief. Abandonnée au VIIᵉ siècle sous la pression d'un accroissement démographique, cette première disposition du site cède la place à une nouvelle agglomération, plus vaste, mieux protégée derrière un nouveau fossé couronné de levées de terre et de palissades de bois. Selon l'archéologue Jean Guilaine qui a dirigé l'ensemble de la fouille, cette "première Carcassonne" constituait l'ébauche d'une ville d'environ un millier d'habitants en contact avec l'ensemble du bassin méditerranéen comme en témoignent nombre de fragments de céramiques étrusques, grecques ou carthaginoises retrouvés sur le site.

L'empreinte romaine


Cette ouverture économique est sans doute la cause de l'abandon de ce site pour la butte de la Cité, plus proche de l'Aude et des principales voies de communication, mais aussi plus petite (sept hectares) et donc plus facile à défendre. Au milieu du VIᵉ siècle, le plateau de Carsac est totalement abandonné, ses fossés et ses silos comblés, tandis que des cabanes de pierre sèche s'élèvent au sommet du promontoire naturel de la Cité. L'essor de la nouvelle agglomération est rapide. Les fouilles archéologiques menées dans le sol de la Cité témoignent d'une occupation ininterrompue du premier âge du fer jusqu'à la conquête romaine.

Le nouvel oppidum profite de l'élan de l'ensemble de la région. Les marchands des grands comptoirs méditerranéens (Marseille, Agde, Ampurias) s'aventurent de plus en plus dans l'arrière-pays audois. Carcassonne est d'abord l'étape obligée pour toux ceux qui veulent suivre la grande voie est-ouest, qui, par le seuil de Naurouze, permet d'accéder à la côte atlantique. Sur cette route transitent aussi bien l'étain de Cornouailles que les céramiques et les marchandises de Grèce et d'Etrurie, du monde punique et du domaine ibérique. Mais c'est aussi le carrefour de routes secondaires vers la Haute Vallée de l'Aude ou la Montagne Noire et le Massif central.

Au cours du IIIᵉ siècle, les populations indigènes se retrouvent sous la férule du peuple celte des Volques Tectosages. Sous leur contrôle, Carcassonne s'ouvre progressivement au monde romain. Depuis 208 avant J.-C., Rome a pris pied en Espagne. Elle renforce du coup sa présence sur le Languedoc ibérique. Tandis que les mines des Corbières et de la Montagne Noire fournissent minerais et métaux, les fermes des plaines de l'Aude, du Razès et du Minervois maîtrisent la culture des céréales. Echangés pour des vins d'Italie et des céramiques campaniennes à vernis noir, les profits tirés des surplus locaux sont aussi réinvestis et alimentent le commerce régional. Les abords du plateau de la Cité, proches de la voie d'Aquitaine se dotent de plusieurs constructions à vocation commerciale.

En 118 avant J.-C., les romains créent Narbonne, leur première colonie dans le sud de la Gaule. Cette fondation consacre leur suprématie économique et militaire dans cette région. Le territoire de la nouvelle colonie englobe l'ensemble du bassin audois, des Corbières et de la Haute Vallée. A cette époque, le comptoir carcassonnais profite de sa nouvelle situation et se hisse au rang de chef-lieu administratif. Dans le premier quart du Ier siècle avant notre ère, il s'émancipe de la tutelle narbonnaise et devient le siège d'une colonie autonome, la colonie Julia Carcaso que l'historien latin Pline l'Ancien classe en 27 avant J.-C. dans la liste des vingt cités de la province sénatoriale du Sud de la Gaule. Sa population est inscrite à la tribu Voltinia.

Les débuts de l'Empire correspondent à d'importants aménagements sur le plateau de Carcassonne. Les sondages archéologiques pratiqués en divers points de la Cité ont mis à jour les traces d'un véritable plan d'urbanisme citadin. On a ainsi découvert dans le soubassement du château comtal, les vestiges d'une domus au sol recouvert d'une magnifique mosaïque d'époque augustéenne. Des vestiges de murs en blocs de grès, des restes de maisons aux murs décorés d'enduits peints caractéristiques du troisième style pompéien retrouvés près de la Tour du Tréseau confirment l'essor de la petite ville gallo-romaine, bien qu'elle n'ait jamais atteint le poids culturel et économique de ses deux grandes cités voisines, Toulouse et de Narbonne.

L'entrée dans le Moyen Age : la naissance d'une cité médiévale


Au IIIᵉ siècle de notre ère, suite à l'effondrement de l'Empire et aux menaces que font peser les premières vagues d'invasions, les habitants de Carcaso, devenu Carcasona, s'abritent derrière un puissant rempart maçonné. Cette enceinte gallo-romaine englobait un espace de sept hectares ; elle était jalonnées de 34 à 38 tours semi-circulaires et d'un certain nombre de poternes. Bien que son tracé ne corresponde pas entièrement à celui de l'actuelle enceinte intérieure de la Cité, cet ensemble architectural est particulièrement bien conservé, notamment sur le front nord, entre la tour du Moulin du Connétable et la tour du Moulin d'Avar. Bien qu'il s'apparente tout à fait à des constructions du Bas-Empire, il pourrait s'agir d'une réutilisation tardive des techniques romaines. A l'heure actuelle, il est impossible de trancher entre l'hypothèse d'une fondation gallo-romaine et celle d'une muraille wisigothique datant du Vᵉ, voire même de VIᵉ siècle de notre ère.

Quoi qu'il en soit, une enceinte fortifiée est attestée en 333 après J.-C. dans l'itinéraire du pèlerin de Bordeaux à Jérusalem. Carcassonne y est désigné comme castellum, c'est-à-dire place forte. Au début du Vᵉ siècle, la Cité est placée sous la domination des Wisigoths dont le royaume s'étend à l'Espagne et à la Gaule du sud et de l'ouest. En 507, les Francs de Clovis battent les armées d'Alaric II à Vouillé. Repliés sur l'ancienne province de Narbonne, rebaptisée Septimanie, les Wisigoths conservent Carcassonne. En 508, Clovis vient assiéger la Cité, sans toutefois parvenir à la prendre. Carcassonne s'installe dans la position d'une ville frontière soumise à la pression constante des francs. Elle devient au cours du VIᵉ siècle, avec les deux cités littorales d'Agde et Maguelone, le siège d'un évêché catholique.

Le temps des comtes (VIIIᵉ-XIIIᵉ siècles)


Au VIIIᵉ siècle, les invasions musulmanes ont raison du royaume wisigoth. Au printemps 725, le wali d'Andalousie, Ambasa Ibn Suhayn al Kalbi s'empare de la Cité, y fait un important butin et soumet à l'esclavage une partie de la population. La Cité reçoit un nouveau contingent militaire, mais les arabes sont incapables de tenir la ville. En 759, Carcassonne est conquise par les francs de Pépin le Bref. Son fils Charlemagne achèvera de pacifier le reste de la Septimanie. L'administration de Carcassonne, désormais soumise à la destinée du nouvel Empire, est placée sous l'autorité de comtes qui détiennent leur pouvoir temporel sur délégation du souverain franc: les Oliba jusqu'au Xe siècle et les Comminges-Couserans au XIᵉ siècle.

En 1067, Roger, comte de Carcassonne décède sans laisser d'héritier direct. C'est alors que le comte de Barcelone Raymond Béranger Ier et son épouse Almodis saisissent l'occasion pour désintéresser financièrement d'éventuels prétendants et acquérir le comté de Carcassonne contre la somme considérable de cinq mille onces d'or. Mais cette entreprise se révèle difficile et se heurte aux ambitions du comte de Toulouse. De graves conflits familiaux secouent la famille comtale de Barcelone à la mort de Raymond Bérenger et donnent l'occasion à Ermengarde, sœur de l'ancien comte Roger de revendiquer ses droits sur le comté, pour elle et surtout pour son fils Bernard Aton Trencavel, vicomte de Béziers, Albi et Nîmes. Ce dernier aura bien du mal à s'imposer aux carcassonnais. A plusieurs reprises, ils se soulèveront contre lui. En 1112, le comte Raymond Roger III franchit les Pyrénées et menace Carcassonne. l'intervention de l'Eglise évite le conflit. Ne pouvant compter sur l'aide du comte de Toulouse parti en croisade en Orient, Bernard Aton conclut une alliance avec Alphonse Ier d'Aragon, dont il se fait le vassal pour le comté de Razès. La nouvelle alliance freine les volontés expansionnistes du prince barcelonais au nord des Pyrénées. Il se contente d'annexer les comtés voisins de Besalú (1111) et de Cerdagne (1117). En échange de la suzeraineté sur douze châteaux situés sur les terres du vicomte de Carcassonne, il abandonne l'ensemble de ses droits sur le Carcassès et le Razès. Malgré ses accords, en 1120, le vicomte doit faire face à un nouveau soulèvement des carcassonnais. Il ne pourra revenir à Carcassonne que quatre ans plus tard, avec à nouveau l'appui du comte de Toulouse. Une nouvelle fois, la répression est sévère. Bernard Aton, excédé, en profite pour renouveler l'aristocratie locale, s'entoure d'hommes de confiance qui lui prêtent serment, jurant de le défendre et d'assurer un service de garde et de guet à la Cité. Face à la ville, il entreprend l'édification de sa résidence seigneuriale. Isolé par une puissante muraille, ce « palais », adossé aux fortifications antiques, se limite à la partie ouest du château comtal actuel. Ses héritiers continueront de l'agrandir pour en faire le centre du pouvoir de leur principauté et le siège de leur cour où se côtoient gens d'Eglise, troubadours et châtelains locaux issus des quatre coins de leur vaste domaine éclaté. Ainsi , avant 1161, son petit-fils Raymond Roger Ier Trencavel fera-t-il élever près du palais la chapelle castrale d'abord dédiée à Marie, puis à saint Blaise et à Notre-Dame. Les fouilles menées en ce lieu ont permis la découverte d'une vingtaine de sépultures d'enfants et de nouveaux nés.

Ces chantiers sont contemporains de ceux de la nouvelle cathédrale romane dédiée à saint Nazaire et à saint Celse, dont le chantier est inauguré par le pape Urbain II en 1096 et se termine vers les années 1150. Sa nef, à trois vaisseaux est encore visible.

Sous l'hospice des Trencavel, Carcassonne change de physionomie. Deux bourgs éclosent en dehors de ses remparts, le bourg Saint-Michel au sud, le bourg Saint Vincent au nord. L'apparition de ces nouveaux quartiers entourés de murailles, de tours et de fossés est un signe évident de vitalité économique. Bien que les sources manquent pour apprécier exactement l'ampleur de ce développement, on en trouve quelques traces notamment dans l'existence de deux foires annuelles accordées par le vicomte Roger en 1158 et celle d'une monnaie locale dès 1159. A Carcassonne, le vicomte émet sa propre monnaie. Peu à peu, une bourgeoisie se forme et se distingue du reste de la société carcassonnaise. C'est elle qui s'est révoltée contre son vicomte au début du XIIᵉ siècle. D'abord tenue en respect, elle obtient de ces comtes des libertés intéressantes: en 1184, elle est libérée de la main-morte, obtient la possibilité de tester, se retrouve exemptée de certaines taxes frappant la circulation des marchandises et négocie des taux raisonnables sur les droits sur la vente du blé et du poisson et le prix du sel.

Mais le jeu d'équilibre auquel sont condamnés ses seigneurs entre les deux puissantes maisons de Toulouse et de Barcelone tout au long du XIIᵉ siècle, renforce leur individualité. Du coup, la ville de Carcassonne, à la différence des autres cités de la principauté des Trencavel, Béziers ou Albi, n'obtiendra son consulat que sur le tard, à la fin du XIIᵉ siècle, en 1192. A cette époque l'autonomie des douze consuls n'est pas totale. Le vicomte contrôle encore leur décision. A ce titre, la Croisade contre les Albigeois jouera un rôle émancipateur. Mis au devant de la scène, les représentants de la communauté y gagneront en indépendance juridique. Restée orale pendant tout le XIIᵉ siècle, la coutume de la communauté est mise par écrit dans un temps postérieur à la Croisade.

Carcassonne, nouvel enjeu de la Croisade contre les Albigeois (1209-1247)


En 1196, la paix conclue entre les comtes de Barcelone et de Toulouse isole les Trencavel sur l'échiquier méridional. Soucieux d'éviter d'apparaître comme le seul protecteur des hérétiques cathares dont le mouvement dissident connaît un essor considérable depuis le milieu du XIIᵉ siècle, le comte de Toulouse, Raymond VI entreprend habilement de faire peser les soupçons de l'Eglise et du pape Innocent III sur son voisin et vassal Trencavel.

L'échec de la prédication cistercienne et l'assassinat du légat pontifical Pierre de Castelnau, le 14 janvier 1208, provoque le déclenchement de la croisade dite « contre les Albigeois » puisqu'on le discours officiel de l'Eglise assimile alors les hérétiques cathares et les habitants de la ville d'Albi, possession emblématique des Trencavel.

Premier visé par l'action de cette première guerre sainte en pays chrétien, le comte de Toulouse fait amende honorable devant le légat pontifical Arnaud Amaury à Saint-Gilles au printemps 1209. Les croisés doivent se trouver un nouvel objectif et se porte devant les domaines du jeune vicomte Raymond Roger Trencavel, Béziers d'abord, Carcassonne ensuite devant laquelle les croisés mettent le siège à la fin du mois de juillet 1209.

Après avoir investi le bourg nord dès le 3 août, les croisés cherchent à se rendre maîtres des points d'eau pour assoiffer les habitants de la Cité. Le 8 août, le deuxième faubourg, au sud de la Cité, le Castellar, tombe entre leurs mains. Ils se retrouvent face à l'enceinte de la Cité. Trencavel a fait renforcer les défenses de sa forteresse, sacrifiant le réfectoire et le cellier des chanoines de la cathédrale et utilisant le bois des stalles afin de faire renforcer les hourds de ses tours. Un long siège semble commencer, mais Il ne durera que quatorze jours. La chaleur et les privations auront raison des défenseurs de la Cité, soumis aux bombardements des machines de guerre mises en batterie sur le coteau situé en face du front sud de la forteresse. Trencavel est contraint de se rendre. Le samedi 15 août 1209, les croisés entrent dans la Cité. Ils prennent possession du logis vicomtal. Raymond Roger est emprisonné. Il mourra dans son cachot le 10 novembre suivant. Les habitants sont chassés, abandonnant tous leurs biens aux vainqueurs, « n'emportant que leurs pêchés », précise le chroniqueur des croisés, Pierre des Vaux-de-Cernay.

Choisi par les principaux princes et les représentants de l'Eglise, le comte Simon de Montfort s'installe à Carcassonne et devient le chef militaire de l'armée de croisade. En quelques mois, il cherche à se rendre maître des anciens domaines des Trencavel. Sa soif de conquête le pousse très vite à élargir ses domaines vers les terres du comte de Toulouse. Cette ambition lui sera fatale. Il mourra le 23 juin 1218 devant les murs de cette cité. Son fils Amaury fera transporter son corps à Carcassonne ; il sera inhumé dans l'absidiole sud de la cathédrale Saint Nazaire.

Après avoir tenté de s'imposer à son tour comme nouveau maître de Carcassonne, Amaury cèdera l'ensemble de ses droits au roi de France Louis VIII pur repartir vers l'Ile de France en emportant avec lui les restes de son père. Son départ presque inopiné permet au comte de Toulouse, Raymond VII de mettre la main sur Carcassonne. Il remet la ville et la forteresse entre les mains de son héritier légitime, Raymond Trencavel. Le roi de France qui se retrouve spolié décide d'intervenir et organise une nouvelle croisade. A l'annonce de l'arrivée du souverain, Carcassonne se soumet sans combattre en juillet 1226. L'abbé bénédictin de Lagrasse, Benoît d'Alignan reçoit, comme représentant du roi et de l'Eglise, la reddition des consuls et des notables de la ville contre la promesse de ne pas intervenir contre l'armée royale. Le comte de Foix, qui tenait la forteresse au nom du vicomte effectue également sa soumission. Le 26 juillet, Louis VIII en personne reçoit les clefs de la ville.

La vicomté de Carcassonne n'existe plus. Tandis que les consuls et les représentants des principales familles de la ville confirment solennellement leur fidélité au roi, les agents de la couronne préparent l'annexion de son territoire au domaine royal sous la forme d'une sénéchaussée.

Conscients que toutes menaces ne sont pas définitivement écartées, les représentants du roi font renforcer les défenses du château vicomtal, maintenant siège de l'autorité royale, fraîchement établie. Le « palais » des Trencavel se fait citadelle, sur le modèle des constructions fortifiées d'Ile de France. Selon l'archéologue Alain de Salamagne, les deux premiers sénéchaux Eudes le Queux (1228-1239) et Jean de Fricamps (1228-1239) se seraient contentés de remettre en état les murailles et les tours wisigothiques. S'ils projetaient de faire des travaux d'envergure, ils n'en eurent pas le temps. En septembre 1240, Raymond Trencavel marche sur la Cité. Arrivé de Catalogne par le col du Perthus, il traverse les Corbières et gagne la vallée de l'Aude. Alet, Limoux lui ouvrent leurs portes. Il fonce ensuite vers le nord, s'empare de Montréal et de Montolieu où le monastère bénédictin est mis à sac. Les principaux villages du Minervois se rallient à lui. Progressivement, ses troupes et ses partisans isolent la Cité. Cette longue marche fut une véritable levée de masse en sa faveur. Nombreux sont les grands et petits seigneurs locaux, ces "faydits" jadis chassés par les croisés, qui viennent le rejoindre.

A l'abri des murs de la Cité, le sénéchal Guillaume des Ormes attend. La Cité est mise en état de défense. Les murailles sont couronnées de hourds, des vivres sont réquisitionnés. De nombreux ecclésiastiques, pris de panique, viennent se réfugier à ses côtés. L'archevêque de Narbonne, l'évêque de Toulouse sont présents. Pour tous les protagonistes, il est clair que la bataille qui s'annonce dépasse l'enjeu du sort du comté. Trencavel menace directement les intérêts de l'Eglise et la pacification du pays qu'elle a entreprise avec l'aide de la Couronne.

Les premières hostilités vinrent des faubourgs où la population se montrait moins prompte à résister à la coalition méridionale. Le bourg de Graveillant situé au pied de la Cité, sur la rive droite de l'Aude, en face de la porte de Toulouse, était sans doute le maillon le plus faible de la défense de la Cité. A plusieurs reprises, l'évêque de Toulouse y était venu exhorter les foules à défendre les intérêts du roi. Le 7 septembre il s'y était même rendu avec le sénéchal en personne pour leur faire prêter serment devant Dieu, dans l'église Sainte Marie. C'était peine perdue.

Dans la nuit du 8 au 9 septembre, les partisans de Trencavel s'introduisent dans le bourg avec la complicité des plusieurs habitants. Trente-trois prêtres sont assassinés à la porte du Salin. Les habitants du bourg prêtent serment à Trencavel. Cette action commando n'était pourtant que le prélude des opérations. Les véritables combats débutent le 17 septembre. Ils allaient durer vingt-cinq jours. Dans un premier temps, les assiégés reprirent l'initiative et réinvestissent le bourg de Graveillant. Ils y font provision de bois, puis se retirent à l'intérieur de l'enceinte. Les hommes de Trencavel contre-attaquèrent mais ne parvinrent qu'à gagner un moulin. Ce n'est qu'au cours d'une opération suivante que plusieurs seigneurs méridionaux, parmi lesquels Olivier de Termes et Guiraut d'Aniort, reprennent le bourg et brûlent les rues qui remontaient à la Cité afin de couper leurs troupes de toute intervention venant de la forteresse. Dans le même temps, d'autres chevaliers méridionaux s'installent entre le pont et la barbacane du château avec des arbalétriers et un mangonneau, capable de lancer des pierres pour défoncer la muraille. Pour contrecarrer leur plan, Guillaume des Ormes fait installer en face une pierrière turque. Un duel de bombardement et de tirs croisés de carreaux d'arbalètes s'engage.

Parallèlement à cette attaque, les assaillants commencent à creuser une mine - une galerie souterraine- sous le mur est de la Cité, au niveau de la barbacane de la porte Narbonnaise. Surprenant le travail des mineurs, les assiégés consolident la muraille avec un grand mur de pierres sèches. Ils évitent ainsi que toute la muraille de la barbacane ne s'effondre quand les hommes de Trencavel mettent le feu aux poutres et aux solives qui soutiennent la galerie souterraine.

A chaque tentative de sapes, le sénéchal fait répondre par des contre-sapes efficaces. A maintes reprises, la Cité est sur le point de céder, mais aucune tentative des assaillants ne parvient à ses fins. Compte tenu de l'échec de cette tactique, Trencavel décide de tenter le tout pour le tout: le 30 septembre, un dimanche, il ordonne l'assaut de la barbacane du château. Guillaume des Ormes fait front avec tous ses arbalétriers et toutes ses machines. Trencavel est contraint de rebrousser chemin, mais ne se décourage pas. Apprenant qu'une armée de secours envoyé par le roi marchait sur Carcassonne, il tente une nouvelle attaque de grande envergure, le 6 octobre. Mais ses hommes sont à nouveau repoussés. Les pertes sont sévères. Le 11, le vicomte doit se rendre à l'évidence: il doit fuir et remettre à plus tard ses projets pour Carcassonne. Tandis que les habitants du bourg mettent le feu à leurs maisons, ses hommes se retirent vers Montréal, après avoir totalement détruit le couvent des franciscains ainsi que l'abbaye Notre-Dame situés dans le bourg.

Assiégé à son tour dans Montréal par les troupes royales, Trencavel fut contraint de reprendre le chemin de l'exil vers la Catalogne. Il ne renoncera à ses droits sur Carcassonne et son ancien comté qu'après l'échec du soulèvement de Raymond VI en 1242. C'est chose faite en 1246. Un an après, il brise solennellement son sceau devant le roi Louis IX qui en signe d'apaisement accorde son pardon aux carcassonnais, à l'exception de ceux qui ont prêté leur aide aux vicomtes, recherchés par la justice royale.

Pendant le siège, les faubourgs qui entouraient la Cité avaient été en grande partie détruits. Pour punir les habitants qui s'étaient rebellés contre l'autorité royale, le comte Jean de Beaumont qui était venu soutenir les assiégés allait finir de les raser. Après la soumission de Trencavel, le roi souhaita, en janvier 1248 que son nouveau sénéchal Jean de Cranis, rappelle les habitants des faubourgs et les installent dans une « ville neuve » qui ne menacerait plus les intérêts de la Cité. C'est ainsi que furent jetées les bases de la « bastide Saint Louis », séparée de la forteresse et de la ville haute par le fleuve. Tandis que la Cité gardait son rôle militaire, la ville basse devint très vite le cœur économique de cette nouvelle Carcassonne bicéphale et un grand centre de production de draps, capables d'envoyer ses marchandises dans tout le Languedoc et l'ensemble du bassin méditerranéen.

La « citadelle du Languedoc » (XIIIᵉ - XIVᵉ siècles)


A la suite du siège de 1240, le pouvoir royal fait entreprendre une nouvelle campagne de travaux à la Cité qui va se prolonger jusqu'au début du XIVᵉ siècle.

Ce nouveau chantier va profondément modifier la physionomie de la Cité et du château comtal qui devient le siège de la sénéchaussée et de sa cour. Ce dernier est doté d'une fortification autonome avec fossé et barbacane tournés vers la ville intérieure. L'épreuve de 1240 avait montré qu'il fallait encore se méfier des populations locales.

Dans le même esprit, tout en retenant la leçon qu'au cours du siège mené par les troupes de Trencavel la muraille était trop exposée aux tirs des machines de guerre de l'assaillant, on décida de redoubler la ligne de défense par une seconde enceinte, munie de fortes tours et dotée d'embrasures adaptées au tir des projectiles incendiaires lancés par les arbalétriers et les couleuvriers.

Le symbole de cette première séquence de travaux est sans aucune la tour Vade achevée en 1245. Construction particulièrement impressionnante, elle est à elle seule un petit château capable de fonctionner en autonomie.

Viendront quelques années après, sous les règnes de Philippe le Hardi (1270-1285) et de Philippe le Bel (1285-1314), d'autres remarquables éléments de défense: certains tronçons de l'enceinte intérieure antique sont presque entièrement rebâtis. Les nouvelles maçonneries son réalisées en appareil à bossages. On dote les deux enceintes de tours circulaires, à l'exception notable des tours Saint-Nazaire et de l'Evêque bâties sur un plan carré. On renforce l'entrée principale sur le front est par la construction des tours de la Porte Narbonnaise et de la tour du Tréseau, ainsi nommée parce qu'une fois construite elle abrita l'administration fiscale de la sénéchaussée.

Sous le règne de ces souverains, la Cité de Carcassonne, surnommée la « citadelle du Languedoc » devient le symbole de la puissance royale dans le Midi de la France face à la frontière aragonaise. Son remarquable système de défenses devait désormais décourager tout éventuel agresseur, y compris les anglais du Prince Noir, qui l'évitèrent soigneusement en 1355.

L'Inquisition de Carcassonne et la fin du catharisme (XIIIᵉ-XIVᵉ siècles)


En 1233, les premiers inquisiteurs arrivent dans un Languedoc hostile : leur mission est d'extirper une religion dissidente, le catharisme, d'une province qu'ils ne connaissent pas. Depuis le XIᵉ siècle, l'expansion de la religion cathare en Occident a provoqué une vive inquiétude de la part de l'Eglise. Les échecs du clergé local, des légats pontificaux et de plusieurs missions de prédication, a amené Grégoire IX à réfléchir à une institution spéciale, l'Inquisition.

Le 12 avril 1229, la signature du traité de Paris a mis fin à l'insoumission du comte de Toulouse. Le concile de Toulouse (1229) s'efforce d'organiser la répression contre les hérétiques. L'Ordre Dominicain reçoit une délégation générale pour l'exercice de cet office et les inquisiteurs disposent de pouvoirs spéciaux comme celui d'infliger une peine de prison perpétuelle pour les cas les plus graves et celui d'ordonner l'exhumation de suspects cathares afin de les brûler. Deux tribunaux fixes de l'Office sont mis en place, à Toulouse et à Carcassonne. Les frères inquisiteurs s'installent à l'intérieur de la Cité dans un logis situé non loin de la porte donnant sur l'Aude, aux abords de la tour de Justice, entre le château comtal et le quartier canonial. Une galerie couverte permettait aux dominicains d'accéder à cette tour qui abritait les précieuses archives de ce tribunal.

Les premiers temps de l'institution sont difficiles. En marge des conflits des premiers temps, les inquisiteurs Guillaume Arnaud et Etienne de Saint-Thibéry sont assassinés en 1242 avec leur suite à Avignonnet par une troupe d'hommes armés venus de Montségur, place forte de la résistance cathare.

Malgré la prise de Montségur en 1244 et l'hostilité des populations et du clergé local, l'Inquisition est suspendue de 1249 à 1255. La reprise des enquêtes à cette date met à mal le catharisme en Languedoc, désormais quadrillé par les inquisiteurs de Toulouse et de Carcassonne. Si le Toulousain se soumet avec une certaine bonne volonté aux enquêtes, il n'en est pas de même à Carcassonne. Une prison très vite surnommé le Mur est édifiée à l'extérieur des murailles, sur le versant nord de la colline. Elle n'était encore pas terminée en octobre 1258 quand le roi Louis IX demande à son sénéchal Pierre d'Auteuil de faire activer les travaux.

L'agitation reprend avec l'inquisiteur Jean Galand. Celui-ci effectue, de 1283 à 1286, de nombreux interrogatoires, qui amènent plus de neuf cent dénonciations de suspects dont une grande majorité de dignitaires ecclésiastiques, de nobles et de personnalités de premier plan sont mis en cause. L'émotion est forte au sein même du tribunal de l'Inquisition mais aussi auprès de la population. La mobilisation des autorités de la cité provoque dès 1286 le remplacement de Jean Galand par le dijonnais Guillaume de Saint-Seine. Mais les principaux suspects restent en prison; la plupart y mourront. Philippe le Bel, après avoir pris des informations auprès de l'évêque, craignant un danger d'agitation et soucieux de ménager le clergé carcassonnais, intervient par le biais de son sénéchal : l'inquisiteur est remplacé en 1293 par Nicolas d'Abbeville dans Carcassonne en pleine effervescence, où l'hostilité vis-à-vis de l'Office est à son paroxysme. Le nouvel inquisiteur tente de mettre au pas les notables du bourg et la Cité carcassonnaise en organisant de nouvelles enquêtes. Les franciscains de la ville, dont le populaire Bernard Délicieux, soulèvent les populations. Le Mur est assiégé. Dans la hâte, les prisonniers de l'Inquisition sont transférés un temps dans les tours de la Cité.

Nicolas d'Abbeville est finalement révoqué en 1303, après une enquête royale. Geoffroi d'Ablis, originaire de Chartres, lui succède alors, mais le soutien pontifical de Clément V lui manque.

L'Inquisition poursuit cependant son activité. Jean de Beaune, qui succède à Geoffroi d'Ablis mort en 1316, gère le passif de ses prédécesseurs en réglant plusieurs affaires en souffrance et des procédures en instance. En 1319, il fait condamné Bernard Délicieux, arrêté deux ans plus tôt, à la prison à perpétuité où il mourra en 1320. Prudent, il ne prononce que des condamnations posthumes et n'ordonne que des exhumations anciennes.

En un siècle, l'Office inquisitorial a acquis une réelle efficacité. Progressivement, une véritable administration s'est développée avec un personnel de notaires et de clercs, de gardiens pour les prisons de Carcassonne et de Toulouse, mais aussi d'informateurs plus ou moins zélés mais rémunérés. L'inquisiteur de Carcassonne a ainsi jusqu'à dix-sept diocèses sous son contrôle et doit déléguer à des adjoints basés à Albi, à Pamiers ou encore Montpellier. Des dépôts d'archives sont organisés pour les centres inquisitoriaux importants, comme Pamiers ou Béziers. Par ailleurs, la conception de la charge inquisitoriale ne privilégie pas toujours l'aspect répressif. Les inquisiteurs prononcent après 1250 peu de sentences capitales.

L'arrestation de Bélibaste, le dernier parfait, puis sa mort sur le bûcher en 1321, annoncent la disparition du catharisme et témoignent d'un quadrillage complet du Languedoc. Pierre Brun et le normand Jean Duprat, successeurs respectifs de Bernard Gui à Toulouse et de Jean de Beaune à Carcassonne en 1324, ne feront que poursuivre, arrêter et brûler les quelques derniers survivants d'une religion moribonde. Les comptes rendus des dépenses de l'Inquisition de cette époque nous renseignent sur les coûts d'organisation de tels bûchers: en 1322-1323, pour le bûcher de quatre hommes, l'office avait dépensé quatre sous et six deniers pour les sarments de vigne, dix sous et neuf deniers pour les quatre poteaux auxquels on avait attaché les condamnés avec des cordes payées quatre sous huit deniers.

L'autre chantier : la Cité des clercs


Siège des représentants du roi et de l'Inquisition, la Cité est aussi le domaine des clercs. Tous les centres nerveux de la vie religieuse de Carcassonne y sont regroupés. En juillet 1259, Louis IX permet à l'évêque Guillaume Radulphe d'agrandir l'enclos du chapitre. Le prélat y fait construire une infirmerie dotée d'une chapelle, première manifestation d'architecture gothique à Carcassonne. Un quartier canonial se développe au sud de la cathédrale.

A partir de 1269, son successeur, l'évêque Bernard de Capendu met en chantier la construction d'une nouvelle cathédrale. Son plan (un vaste transept à collatéral oriental doublé par des chapelles), une élévation particulière de l'abside et du transept, un décor sculpté riche et original et la présence d'un rare grand ensemble de vitraux du début du XIVᵉ siècle allaient faire d'elle encore un des fleurons de l'art gothique méridional. Le ch œur et le transept sont terminés dans le premier tiers du XIVᵉ siècle, sous les épiscopats de Pierre de Rochefort (1300-1321) et de Pierre Rodier (1323-1330).

Le programme iconographique de la statuaire choisi comme décor est alors sans précédent dans le Midi de France. Inspiré par les modèles du nord de la France, il est la marque de la grande maîtrise d'un grand atelier de sculpture méridional. L'autre attrait de la cathédrale tient au fait qu'elle ait conservé ses verrières de l'époque médiévale, posées dans le choeur et dans le transept, toujours entre 1280 et 1330.

A côté de l'évêque, les chanoines assurent le service liturgique de la cathédrale. A partir de 1398, ils organisent aussi dans la Cité une grande procession générale en l'honneur de la relique de Saint-Anne.

Un lent abandon


L'instauration de la ville basse ne fut pas sans conséquence sur l'évolution de la Cité. La nouvelle bastide devenue une ville active et prospère attire la noblesse et la bourgeoisie carcassonnaise. Cette évolution irréversible transforme la fonction sociale de la citadelle. Si elle demeure une importante place de sûreté et le centre administratif et religieux du pays, le coeur économique de Carcassonne bat désormais dans la ville basse. Seul, son rôle militaire reste un temps prépondérant. L'image qu'elle donne lui vaut de ne plus subir aucun assaut, notamment pendant les Guerres de religion. Le grand tournant de son existence minérale survient au milieu du XVIIᵉ siècle: en 1659, la signature du traité des Pyrénées qui déplace la frontière entre les royaumes de France et d'Espagne rend obsolète jusqu'à son existence. Une à une les institutions encore installées à la Cité déménagent dans la plaine. Les évêques eux-mêmes finiront par céder à ce mouvement. En 1765, Mgr de Bezons obtient du roi la possibilité de transférer son évêché dans la ville basse. A la veille de la révolution, son successeur songeait même à faire abattre l'ancien palais épiscopal. Il n'y renonça que devant les protestations des citadins, de la municipalité de Carcassonne et du Parlement de Toulouse.

Lorsque commence l'épisode révolutionnaire, il est clair que la Cité n'est plus que l'ombre d'elle-même. Symbole d'un pouvoir royal désavoué par la population, la forteresse va vers un déclin certain. Aux yeux de tous, comme en témoigne un rédacteur des cahiers de doléance de la ville, la citadelle menacée par la ruine n'est plus qu'« une des plus belles antiquités de la province ».

Cette antiquité perd sa garnison en 1793. Seule son administration municipale occupe encore la tour du Tréseau. Sept ans plus tard, rabaissée au rang de quartier, la Cité perd son autonomie administrative et se retrouve rattachée à la celle de la ville basse. La suppression du chapitre de Saint-Nazaire en 1790, la translation de la cathédrale dans la ville basse en 1801 confirment le déclassement de la Cité à laquelle les années apportent désormais leurs lots de dégradations. Seule une population appauvrie, principalement composée de modestes tisserands ou d'ouvriers du textile est restée vivre sur la colline à l'abri des murailles. Plus d'une centaine de maisons ont même commencé à coloniser les lices qui séparent les deux enceintes. Une partie des murailles sert désormais de carrière de pierres. Ces démolitions servent les administrations qui ont gardé la tutelle de la forteresse. Elles procurent au Trésor public et aux entrepreneurs carcassonnais des revenus rien moins que substantiels.

La restauration


Reclassée comme place de guerre de 2ᵉ série en 1821, la Cité est sauvée de la destruction. D'autant que les pouvoirs publics finissent par s'émouvoir de son état. Très timidement d'abord. En 1822, la fabrique de Saint Nazaire parvient à attirer l'attention du préfet sur l'état délabré de l'ancienne cathédrale. C'est elle qui va solliciter tous ceux pour qui le patrimoine devient une priorité d'envergure nationale. En 1841, l'érudit Jean-Pierre Cros-Mayrevieille fait classer l'ensemble de la cathédrale. il multiple par la suite les demandes pour que l'on s'intéresse aux remparts. Il y parvient en 1849. Mais l'armée, en charge des infrastructures, retardait toutes décisions concernant d'éventuelles réparations. Cros-Mayrevieille tint bon. En 1846, il obtenait enfin que l'architecte Eugène Viollet-le-Duc, qui depuis deux ans s'occupait du chantier de Saint-Nazaire, entame une expertise des travaux à faire sur les murailles. De 1846 à 1851, l'architecte étudie le monument, son architecture et son histoire. Son travail faillit ne servir à rien. En 1850, la Cité était à nouveau déclassée. Une nouvelle fois, la porte faillit être grande ouverte aux démolisseurs et aux carriers. Mais devant les protestations organisées du monde savant carcassonnais entraîné par Cros-Mayrevielle, l'armée revient sur sa décision. Prosper Mérimée, inspecteur de la Commission des Monuments Historiques et Cros-Mayrevieille parviennent à décider les autorités à adopter un plan de sauvetage d'envergure. Ils confient la direction du chantier à Viollet-le-Duc; il le conduira jusqu'à sa mort en 1879. Les premières subventions débloquées en 1852 vont lui permettre d'axer les travaux sur l'accès aux tours et aux courtines. On dégage ainsi des pans entiers de murs enfouis sous des remblais accumulés au cours des siècles.

Les travaux s'accélèrent après 1858. Cette seconde phase est celle qui va permettre à Viollet-le-Duc de modeler la Cité à l'image de ce qu'il imagine être une cité médiévale du XIIIᵉ siècle. Toute priorité est donnée à la reconstruction, au dépends bien souvent d'une analyse sérieuse du monument et des différents styles qui y cohabitent alors. En 1858, le front ouest, le plus visible de la plaine est réparé, les crénelages et les toitures reconstitués. A cette occasion, Viollet-le-Duc reçoit la médaille de la ville. De 1859 à 1865, on procède à la restauration des tours de la porte Narbonnaise, de la porte d'Aude, de la tour-porte Saint-Nazaire et des bâtiments qui composent le château comtal.

Après une interruption du chantier consécutive à la fin du régime impérial et à la guerre de 1870, les travaux reprennent. La République n'hésite pas une seconde à reprendre à son compte cet héritage de l'Empire. Viollet-le-duc supervise toujours les travaux. A sa mort, en 1879, la tour du Trésau est terminée, la barbacane Saint-Louis est consolidée et les murailles du front sud sont munies de leurs combles.

La direction des opérations est reprise par un ancien élève de Viollet-le-Duc, Paul Boeswilwald. Il restaure l'enceinte intérieure du côté nord et dégage les lices des maisons qui les encombraient. Il poursuit également la restauration du château comtal, commencée par Viollet-le-Duc depuis 1860.

Les travaux sur l'enceinte extérieure sont terminés en 1901. Les derniers aménagements seront entrepris jusqu'en 1910.
Vue d'ensemble (sud) de la Cité médiévale de Carcassonne (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
Vue d'ensemble (ouest) de la Cité médiévale de Carcassonne (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
Vue d'ensemble (nord) de la Cité médiévale de Carcassonne (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
La Porte d'Aude Cité de la médiévale de Carcassonne depuis les remparts (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
Les lices de la Cité médiévale de Carcassonne avant leur dégagement (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
La Porte d'Aude de la Cité médiévale de Carcassonne (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
Le château comtal (vicomtal) de la Cité médiévale de Carcassonne (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
Basilique (église) Saint-Nazaire de la Cité médiévale de Carcassonne (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
Le Jardin des plantes de Carcassonne (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
Le square Gambetta de Carcassonne (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
Boulevard et Jardin de la Préfecture de Carcassonne (Aude, Pays cathare ; photographie sur verre, début XXᵉ siècle, Office de Tourisme de Carcassonne)
La première affiche du syndicat d'initiative de Carcassonne et de l'Aude (1921)
- Collection de photographies sur verre, début XXᵉ siècle (Office de Tourisme de Carcassonne) -

Carcassonne, vers 1900 / 1930



Sur le passage historique de la Garonne à la Méditerranée, dans l'angle où la rivière Aude, délivrée de l'emprise des monts, prend l'avenue de la plaine opulente vers la mer, une ville fortifiée médiévale dresse ses remparts pour dominer et commander ce point stratégique : c'est la Cité de Carcassonne.

Le voyageur aborde Carcassonne par une ville moderne : la Ville Basse ; le jeune visage de cette ville ne doit pas tromper sur son âge ; ses parchemins sont très vieux et datent de saint Louis. Ce roi dessina le plan militaire de la ville actuelle ; c'est par sa conception une ville moderne aux rues régulières se coupant à angle droit ; une volonté a présidé à son édification : deux églises , au nord ; l'église fortifiée du XIIIᵉ siècle, Saint-Vincent ; au sud : Saint-Michel ; au milieu : la place aux herbes ; le cercle des remparts ; des bastions aux quatre angles ; une porte d'accès aux quatre points cardinaux - telle fut la ville basse. Aujourd'hui des maisons neuves occupent les mêmes damiers, les remparts n'existent plus, il ne reste que deux bastions ; la ville a débordé un peu du corset de ses boulevards et ses parcs de la frondaison d'un couronne tressée de platanes et de tilleuls.

Mais la gloire de la Cité projette sur la Ville Basse une ombre d'indifférence et d'oubli ; c'est peut-être la Cité, cette ville fortifiée d'Outre-Loire, qui explique le caractère nordique de la Ville Basse. Carcassonne n'est méridionale que par sa géographie ; ni son cœur, ni son esprit n'ont l'expansion occitane, la Ville Basse offre peu à voir au touriste qui a hâte de répondre à l'appel de la Cité.

L'apparition soudaine de cette Cité donne toujours une sensation inoubliable ; cette prodigieuse silhouette nous saisit et nous transporte au cœur du Moyen Age. La Nature, l'Art, l'Histoire ont composé pendant des siècles une oeuvre étonnante dont l'ensemble monumental par son ampleur est unique.

Sur le socle de sa falaise abrupte, dernier ressaut des fauves Corbières, en à pic sur la rivière Aude qui fait fossé et qu'enjambe un vieux pont, la Cité élève la fierté de sa double enceinte de près de trois kilomètres de remparts, flanquée de cinquante tours. Bouclier orgueilleux forgé par d'innombrables et glorieuses générations de Romains, Wisigoths, Sarrasins, Francs, Féodaux et rois de France, cette forteresse gothique est une splendide armure d'Ile-de-France - armure de pierres d'un gris d'acier, sur le récif de la falaise guerrière, elle est posée comme un chevalier en armes face aux Pyrénées, vigie de la France, forteresse des monts. La mâture des tours, des donjons, des poivrières du château et des flèches de la basilique étire de grand navire de pierre de l'Est à l'Ouest, au vent impétueux du Cers ; c'est ce vaisseau gigantesque qui a résisté triomphant, aux grands orages de l'Histoire pendant deux mille ans. Les deux bras armés de ses remparts joignent leurs mains de fer au château qui est la boucle étreinte circulaire vit une ville close avec ses places, ses puits, ses maisons, ses vergers, ses échoppes, ses cloîtres, ses églises, ses couvents. Carcassonne n'est pas une citadelle, une forteresse, un château fort, c'est une véritable ville fortifiée, sculptée par les artistes royaux de saint Louis et de Philippe le Hardi.

La vision féerique de cette ville fortifiée fait aussitôt surgir la légende et l'histoire - à la porte d'entrée, à droite sur un pilier : une pierre taillée du XVIᵉ siècle - c'est le buste naïf de dame Carcass ; ce bloc informe est symbolique ; c'est la légende qui garde l'histoire ; placée à l'entrée de la cité il appelle l'enchantement et la fantaisie qui tissent les voiles de tout berceau historique.

Si aujourd'hui le monde est devenu tout petit, il fut un temps lointain où la terre était immense - alors un dieu phénicien Mekar qui devint chez les Grecs Herakles et à Rome Hercule, intrépide navigateur de Tyr et de Sidon - bien avant la guerre de Troie, avait abordé sur les rivages de Narbonne, remonte l'Aude et fondé Carcassonne - Carcass serait la forme latinisée de Kardedon (Carthage) - Carkason, et Carcass.

Extrait du livre « Carcassonne, sa cité, sa couronne », Jean Girou, éditions J. Rey, B. Arthaud, Grenoble, 1928

La Cité, un monument touristique et culturel


Au tournant du siècle, la Cité devient une destination touristique et culturelle. Passé sous la tutelle des Monuments Historiques, une partie est aménagée pour la visite dès 1903. Ouvrages historiques et guides touristiques se multiplient. Poètes, romanciers et photographes offrent leurs talents à la célébration du monument ressurgi de terre. Les 10 et 11 mai 1893, la Cité sert de point de ralliement à une centaine de félibres languedociens et provençaux. En août 1898, elle est le théâtre de réjouissances grandioses à l'occasion de la fête des Cadets de Gascogne. Visite guidée, défilé, cavalcade historique et embrasement furent au programme de cette journée mémorable qui peut être considérée comme le point de départ de l'exploitation touristique de la Cité par la création d'événements culturels. Carcassonne restaurée à grand frais par l'Etat se doit d'occuper son rang dans le patrimoine touristique national.

La Cité est désormais utilisée comme un décor de prestige. Cette vocation est renforcée par la création d'un théâtre de plein air, le théâtre de la Cité, en 1908. La première représentation, La fille de Roland, suivie d'un embrasement connaît un succès sans précédent. Vocation renforcée en 1957 par la création par Jean Deschamps, sociétaire de la Comédie Française, d'un grand festival, où l'opéra côtoie le théâtre, la musique et la chanson populaire. Le Cinéma aussi s'intéresse à la Cité. Dès 1908, Louis Feuillade vient y tourner trois courts métrages avec la Gaumont. En 1924, Raymond Bernard y tourne Le Miracle de Loups dont Jean Marais viendra tourner sur place le remake en 1961. En 1928, Jean Renoir profite des fêtes du bi-millénaire du monument pour tourner Le tournoi dans la Cité. En 1944, Serge de Poligny tourne en pleine guerre La fiancée des Ténèbres, film basé sur une interprétation très libre du catharisme.

À partir des années cinquante, le tourisme connaît un développement continu et transforme la vie des derniers habitants de la Cité. A côté des prestations publiques offertes par les Monuments Historiques, commerçants et promoteurs de projets culturels offrent aux visiteurs en constante augmentation un choix d'activités très diverses. Cette cohabitation n'est pas nouvelle : l'initiative en revient aux carcassonnais eux-mêmes qui y trouvèrent l'occasion de réinvestir ces lieux dont ils sont les premiers dépositaires. Ainsi, cinq ans après l'ouverture du théâtre, en 1913, ouvrait l'Hôtel de la Cité. Bâti dans un style néogothique très prononcé, il apparut très vite comme un monument dans le monument, le symbole que la Cité pouvait puiser dans son passé les conditions de son développement futur.

Aujourd'hui encore, la Cité, nouvellement classée au Patrimoine mondial par l'Unesco en 1997 est un espace partagé, toujours habité par 180 "résidents". Haut-lieu, monument-mémoire d'une grande richesse, son potentiel touristique semble exponentiel. Deux à trois millions de visiteurs la fréquentent tous les ans, attirés par son passé et la beauté de ses pierres. Au tournant du troisième millénaire, il ne reste sans doute à la Cité qu'un seul défi : s'adapter aux contraintes nouvelles de l'économie touristique et culturelle sans jamais se compromettre dans les farces grossières des parcs d'attractions.

« Occitanie les 100 plus beaux sentiers », Chamina


Une synthèse exhaustive de trois siècles dramatiques et flamboyants. La référence indispensable.
Michel Roquebert a reconstitué avec une minutie inégalée la société cathare, son histoire et celle de sa répression, en se fondant uniquement sur les sources du temps : traités et rituels cathares, chroniques, interrogatoires et sentences de l'Inquisition, correspondances des papes, des rois et des grands, canons conciliaires, actes publics et privés de tout ordre. Cette « Histoire des Cathares », couvrant plus de trois siècles, raconte l'hérésie, sa nature exacte, son essor dans l'Europe entière et les raisons de son développement particulier dans les Etats du comte de Toulouse et des vassaux, correspondant, en gros, aux régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon; la croisade, lancée en 1209 par le pape Innocent III, jusqu'à la chute de Montségur en 1244 ; l'Inquisition, fondée en 1233 à Toulouse, pour éradiquer le christianisme dissident dont elle ne vient à bout que dans le premier quart du XIVᵉ siècle.

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